Réseaux sociaux : les 5 choses à savoir sur Threads, la « Twitter killer app » de Meta

Threads va-t-il achever Twitter ? Pas sûr… Mais si un réseau social peut y parvenir, c’est bien celui que lance ce jeudi Meta, via Instagram. Explications.

Le compte-à-rebours est bien entamé. 5, 4, 3, 2, 1… Ce jeudi 6 juillet 2023, sur les rampes de l’App store et sans doute de Google Play, Meta lance Threads. En commençant par les Etats-Unis et le Royaume-Uni.

Threads, c’est le nouveau réseau social que le groupe fondé et dirigé par Mark Zuckerberg a créé pour concurrencer Twitter, l’appli rachetée en octobre 2022, pour 44 milliards de dollars, par Elon Musk (Tesla, SpaceX, Neuralink…). Un service de microblogging que l’homme le plus riche du monde, adepte du « free speech », a sérieusement amoché depuis.

Amoché au point que l’arrivée de Threads, d’abord annoncée « milieu de l’été » puis « mi-juillet », pourrait tout bonnement achever Twitter ?

Première tentative de réponse, en 5 points-clés… qui esquissent en passant le portrait critique du nouveau service plagié par les équipes de Zuckerberg.

Levier d’audience

Contrairement aux autres applis qui rêvent de détrôner Twitter, comme les services décentralisés Mastodon (13 millions de membres) et Bluesky (fondé par Jack Dorsey, la figure historique de Twitter, et actuellement en version Bêta), Threads part avec une sérieuse avance.

Meta a en effet choisi de faire décoller Threads en le greffant à Instagram (voir 2ème point). Or, au dernier décompte trimestriel, Instagram comptait pas moins d’1,629 milliard de membres actifs (+12,2% sur un an), dont 25,9% sur base quotidienne, selon l’étude We Are Social (les dernières stats belges des réseaux sociaux).

Une audience captive colossale qu’Instagram aura tout le loisir de guider vers Threads, notamment en (ab)usant de petites incitations design, plus ou moins discrètes, appelées « nudges ».

Reste que cet effet de levier unique, sur lequel on rêverait d’entendre les autorités américaines en charge de la concurrence et les autorités européennes compétentes en matières de protection des données (ci-contre, la liste des données collectées par Threads), n’est pas une garantie de succès.

Si les utilisateurs/trices d’Instagram seront très certainement nombreux à tester Threads, rien n’indique qu’iels y seront fidèles. L’effet de curiosité pourrait être de courte durée.

D’une part, les deux applis répondent à des besoins différents/complémentaires, exprimés par des cibles différentes/complémentaires… Au moins partiellement.

D’autre part, il serait idiot de penser que Twitter, qui a capté les aficionados des conversations textuelles en temps réel, ne bénéficiera pas de la force d’inertie, cette force qui pousse les utilisateurs/trices, même insatisfait.e.s, à rester dans un réseau, de peur, notamment, de perdre leurs connexions et leur historique. #flemme

Une force d’inertie, souvent sous-estimée par les médias, qui explique par exemple que Facebook, continue à séduire 2,989 milliards d’individus chaque mois. Malgré son modèle économique basé sur la location des données personnelles. Malgré les scandales…

Une indépendance toute relative

Threads est une appli autonome… qui ne l’est pas vraiment. Elle a été développée, sous le nom de code « Project 92 », par Instagram. Et elle sera clairement greffée à Instagram (et non pas Facebook ou Whatsapp, étonnament), que dirige Adam Mosseri, également en charge du projet de « Twitter killer app » depuis début 2023.

Dans les stores d’applications, Threads, qui est aussi, ironiquement, un terme utilisé sur Twitter, pour évoquer la publication de plusieurs tweets liés entre-eux, Threads donc, est présentée comme « Une application Instagram ». Et comme « l’application d’Instagram pour les conversations via du texte ». La filiation est pleinement assumée.

Concrètement, Threads est profondément connecté à Instagram. Même si le suivi n’est pas automatique, il est possible, par exemple, de suivre sur Threads, en un coup, toutes les personnes actives sur Threads que vous suiviez déjà sur Instagram (sauf les profils « privés »). Vous pouvez aussi pré-approuver les autorisations de suivi, histoire d’encore faciliter la construction de votre base d’abonné.e.s. Et bloquer un profil se fait automatiquement sur les deux réseaux.

Pour votre profil, idem. Vous utilisez par défaut la même photo de profil, le même nom de compte et le même avatar. Syn-chro-ni-sa-tion !

Décentralisation et interopérabilité

Il y a toutefois une grande différence entre Twitter et Threads. Et c’est une grande nouveauté pour Meta : Threads n’est pas, contrairement à Twitter et à Instagram, un réseau social « à l’ancienne », « fermé ». C’est un réseau social « décentralisé ».

Basé sur le protocole ActivityPub, qui permet à différents services de partager des informations, Threads est conçu pour être interopérable, à terme, avec d’autres plateformes du genre (comme Mastodon), au sein de ce que les geeks appellent le « Fediverse ». Ce qui permet aux utilisateurs/trices de comparer les différentes plateformes et de mieux contrôler l’utilisation de leurs données.

Image : W3C, créateur du protocole ActivityPub

Cela signifie que vous pourrez publier du contenu sur plusieurs plateformes du Fediverse d’un seul coup (à condition d’accepter des réponses potentielles sur tous). Et que vous pourrez être facilement trouvé depuis d’autres services, via votre compte de type @xavierdegraux@threads.net ou @xavierdegraux.bsky.social (suivez-moi sur BlueSky !)

Un timing idéal

Threads sort à un moment idéal. Jamais Twitter n’a été aussi affaibli.

En 8 mois de Muskarade, la plateforme à l’oiseau bleau a licencié près de 80% de son personnel (direct et indirect compris).

Ses recettes publicitaires ont fondu de près de 60%. Une confiance que Linda Yaccarino, la nouvelle CEO, « inspirée par un leadership provocateur », va avoir bien du mal à rétablir dans le contexte actuel.

C’est que le nouveau modèle économique de Twitter, davantage centré sur les abonnements payants (« Twitter Blue »), ne semble pas rencontrer le succès escompté.

Les Twittos (historiques) sont de plus en plus mécontents, devant des limites d’usage grandissantes, des fonctionnalités basculées du côté payant, des bugs à répétition, un algorithme changeant, des règles de modération ( à une grosse année des prochaines élections US) et de vérification de compte étonnantes…

Twitter s’est également mis à dos la communauté des développeurs. Quelques grands médias aussi.

Il est par ailleurs entré dans une bagarre avec les plateformes d’intelligence artificielle, dont celle que Musk avait contribué à créer (OpenAI, la maison-mère de ChatGPT et Midjourney) et qu’il aimerait à présent concurrencer.

Les procès intentés par les fournisseurs de Twitter et les détenteurs de contenus se multiplient.

Et, last but not least, bien que ses actionnaires minoritaires soient silencieux, la valeur de Twitter aurait été réduite de plus de la moitié, selon les aveux de Musk même.

Quelle valeur ajoutée ?

Image : Capture de BlueSky

Threads « est le lieu où les communautés se rassemblent pour discuter de tout, qu’il s’agisse des sujets qui vous intéressent ou des tendances de demain ». Comme Twitter. Comme Mastodon. Comme BlueSky. Comme Spill. Comme Post. Etc.

Par ailleurs, au niveau de l’interface, les premières images de Threads indiquent également une ressemblance énoooorme avec Twitter. Le « thread » (équivalent du « Tweet ») est accompagné d’icônes d’interaction identiques : petit coeur pour le like, bulle conversationnelle pour les réponses, double flèche pour le partage, et avion de papier pour l’envoi en privé.

Bref, à part « ne pas être Twitter », on ne voit pas (encore?) la valeur ajoutée de Threads. Ni sur le fond. Ni sur la forme.

Et si les internautes ne s’y intéressent pas outre mesure, Threads pourrait rejoindre le cimetière des produits Meta qui n’ont « pas rencontré leur public » (Campus, Neighborhoods, Super, Tuned, tbh, Sparked…).

Avec quels coûts associés ? Jusqu’ici, on l’ignore. Tout comme on ignore à quel point Meta est prêt à piocher dans ses réserves pour financer cette ambition. Même si on est probablement très loin des dizaines de milliards engloutis dans le Metaverse…

Xavier Degraux

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