Régulation du numérique en Europe : intensification historique du lobbying des Big Tech et des pressions l’administration Trump

En 2025, le lobbying des Big Tech en Europe atteint un niveau inédit : plus de 150 millions EUR dépensés pour influencer la régulation numérique européenne, selon le Corporate Europe Observatory. Dans le même temps, l’administration Trump multiplie les coups de pression contre les lois du numérique de l’Union européenne, du DSA à l’AI Act. Entre défense de la souveraineté numérique et menaces américaines, Bruxelles se retrouve au cœur d’un bras de fer historique.

À Bruxelles, il y a désormais plus de lobbyistes des géants du numérique que de députés européens. Précisément 890 équivalents temps plein, pour 720 élus. Et, toujours selon le rapport que vient de publier le Corporate Europe Observatory et LobbyControl (octobre 2025), les géants de la tech ont porté leurs dépenses européennes d’influence à 151 millions EUR cette année, soit +33 % en deux ans.

Meta (Facebook, Instagram, Whatsapp…), Microsoft (dont LinkedIn fait partie) et Apple figurent en tête du classement, loin devant les plus grands acteurs de l’énergie, la finance ou la pharmacie.

Mais ce chiffre prend une autre dimension dans le contexte actuel : celui d’un rapport de force transatlantique où l’administration Trump, à laquelle la plupart des Big Tech US ont prêté allégeance, multiplie les pressions contre les lois numériques européennes.

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Bruxelles, capitale mondiale du lobbying Big Tech

En quatre ans, le nombre d’acteurs de l’industrie digitale enregistrés au Registre de transparence de l’UE est passé de 565 entreprises à 733. Un bond dû à l’arrivée de nouveaux entrants, notamment les start-ups de l’IA comme Mistral AI ou Aleph Alpha, et à un renforcement des règles de transparence.

Dix entreprises représentent à elles seules un tiers de la dépense totale. Meta a consacré près de 10 millions EUR, Amazon, Microsoft et Apple autour de 7 millions chacune.

Ces chiffres sont certainement sous évalués. Ils sont déclaratifs et ne couvrent ni les études commanditées à des cabinets de conseil ni le financement de think tanks.

Une influence qui dépasse les couloirs officiels

C’est que l’essentiel ne se joue plus seulement dans les institutions officielles… D’après le Corporate Europe Observatory, les Big Tech dépensent plus de 9 millions EUR par an auprès de cabinets de conseil, d’agences et de think tanks (2025).

Des groupes comme Bruegel, CEPS ou CERRE reçoivent aujourd’hui des financements de toutes les grandes plateformes américaines. D’autres, comme le Center for Data Innovation, défendent ouvertement les positions de l’industrie.

Cette influence indirecte donne aux acteurs privés un monopole de la narration, plus subtil encore que le lobbying classique.

Badges et rendez-vous

Cela dit, le lobbying des géants du numérique à Bruxelles ne se mesure plus seulement en millions EUR, mais aussi en badges et en rendez-vous.

Toujours selon les données du Corporate Europe Observatory, sur les 890 lobbyistes des Big Tech à Bruxelles, 437 disposent d’un badge d’accès au Parlement européen, leur permettant d’entrer quasi librement dans les bâtiments pour rencontrer élus et assistants.

Au total, sur le premier semestre 2025, les cinq grands — Amazon, Microsoft, Google, Apple et Meta — ont tenu 146 réunions avec la Commission européenne, soit plus d’une par jour ouvrable. Amazon arrive en tête avec 43 rencontres, suivie de Microsoft (36) et Google (35).

Côté Parlement, le rythme est encore plus soutenu : 232 réunions recensées avec des eurodéputés en 6 mois, selon les registres de transparence. Meta domine ici aussi, avec 63 entretiens, devant Amazon (49) et Google (47).

Washington muscle le ton

Pour rappel, l’été 2025 a marqué un tournant. En août, le président Donald Trump a menacé d’imposer des tarifs punitifs à tout État européen sanctionnant une entreprise américaine au titre du (Digital Services Act (DSA) ou du Digital Markets Act (DMA).

Dans la foulée, selon Reuters, le secrétaire d’État américain Marco Rubio aurait demandé à ses diplomates d’expliquer aux partenaires européens les risques économiques d’une application stricte des règles européennes.

Et souvenez-vous : quelques mois plus tôt, son vice-président JD Vance dénonçait à la Conférence de Munich sur la sécurité une soi-disant censure européenne à l’encontre des géants US de la Tech.

L’Europe hésite entre fermeté et dérégulation

Depuis 2018 et le Règlement général sur la protection des données (RGPD), l’Europe tente de tracer sa propre voie numérique. Mais en 2025, ce modèle semble se fissurer sous la double pression américaine (politique et économique).

Pendant que Washington hausse le ton, Bruxelles peine à appliquer ses règlements.

Bruxelles discute même d’un grand ménage réglementaire baptisé Digital Omnibus Package, destiné à rendre les règles plus favorables à l’innovation. Derrière cette formule, certains eurodéputés voient un risque de dérégulation masquée.

Quel espace de décision reste-t-il à l’Europe quand la moitié du débat est alimentée par ceux qu’elle cherche à encadrer ? Et jusqu’où peut-elle défendre son modèle sans se couper de l’innovation mondiale ?

Xavier Degraux, Consultant et formateur en marketing digital et réseaux sociaux (LinkedIn en tête), augmenté par l’IA et les data

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