En Belgique, plus d’un recours sur deux contre les réseaux sociaux est gagné… par défaut

Les utilisateurs belges des réseaux sociaux commencent, trèèèès lentement, à utiliser le nouveau mécanisme européen de contestation des décisions de modération. Meta joue partiellement le jeu, YouTube pas du tout.

Depuis novembre 2024, les citoyens et organisations de l’Union européenne peuvent, grâce au Digital Services Act (DSA), contester les décisions de modération des principaux réseaux sociaux : Facebook, Instagram, YouTube, TikTok et Threads jusqu’ici (Pinterest sous peu).

Pour la Belgique, où la mise en place du DSA est franchement décevante jusqu’ici, j’ai mis la main sur les premiers chiffres disponibles.

Entre novembre 2024 et août 2025, à peine 160 litiges éligibles ont été déposés gratuitement auprès de l’Appeals Centre Europe (ACE), l’organisme de règlement extrajudiciaire agréé par la Commission européenne.

Cela place la Belgique à la 8ᵉ place européenne en volume de litiges, juste derrière des États pourtant nettement plus peuplés, comme la France ou l’Italie.

1. Pologne : 637 litiges
2. France : 416
3. Italie : 401
4. Allemagne : 317
5. Espagne : 276

8. Belgique : 160 litiges

Par habitant, la Belgique se classe en 6ème position, devant la France, l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne…

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53% des recours remportés « par défaut »

Plus de la moitié des 160 recours belges (53% précisément) ont été remportés… “par défaut”, parce que la plateforme mise en cause n’a tout simplement pas transmis le contenu contesté à l’ACE, qui a alors statué en faveur de l’utilisateur.

Lorsque le contenu a effectivement pu être examiné, un quart des décisions environ ont renversé la décision de la plateforme incriminée, tandis que 22% l’ont confirmé.

Dans la majorité des cas, les litiges belges ont concerné des publications signalées pour discours haineux. Près d’un dossier sur deux (49%) ont porté sur cette catégorie, loin devant la violence et l’incitation à la violence (14%) ou le contenu violent et graphique (8%).

« Lorsque des utilisateurs ou des organisations en Belgique ont contesté une décision prise par une plateforme au titre de la politique relative à la nudité adulte et à l’activité sexuelle, nous avons infirmé la décision de la plateforme dans 80% des cas (4 décisions sur 5), a précisé l’ACE dans le document qu’il m’a envoyé. En revanche, lorsqu’ils ont contesté une décision prise au titre de la politique relative aux discours haineux et comportements haineux, nous avons confirmé la plateforme dans 60% des cas (3 décisions sur 5). »

Facebook et Instagram en première ligne, YouTube aux abonnés absents

Toujours selon les données de l’ACE, en Belgique, Meta a concentré l’essentiel des contestations. Plus de 95% des litiges éligibles ont concerné Facebook (51%) et Instagram (44%). TikTok n’a représenté que 3% des dossiers, et YouTube 2%.

Ce déséquilibre s’explique entre autres par la pénétration importante des plateformes de Meta dans le pays et par le fait que Meta ait mis en place un numéro de référence unique, permettant aux utilisateurs de transmettre plus facilement leurs dossiers à l’ACE.

Il faut dire que les comportements des plateformes divergent nettement.

Meta coopèrerait partiellement. Sur Facebook, près de la moitié des décisions favorables aux Belges ont été des “décisions par défaut”, mais l’entreprise a fourni régulièrement les contenus demandés, permettant un véritable examen au fond. Sur Instagram, la coopération serait plus erratique : dans la plupart des dossiers, Meta n’ayant pas retrouvé ou transmis les contenus concernés.

TikTok, de son côté, peine visiblement à s’adapter. L’absence de numéro de référence et la localisation manuelle des contenus ralentissent considérablement les procédures.

Mais c’est YouTube qui se distingue le plus négativement selon l’ACE : sur l’ensemble des 343 litiges éligibles reçus en Europe, la plateforme n’a transmis aucun contenu original à l’ACE, forçant l’organisme à statuer sur la base des liens envoyés par les utilisateurs ou à rendre des décisions par défaut.

En Belgique, ce blocage se traduit par une absence quasi totale de décisions au fond : seuls trois dossiers concernant YouTube ont été enregistrés sur la période.

3.300 dossiers éligibles en Europe

Au total, entre novembre 2024 et août 2025, l’Appeals Centre Europe a reçu près de 10.000 litiges provenant de l’ensemble des États membres. Plus de 3.300 dossiers sont entrés dans son périmètre d’action, et 77% des décisions rendues ont renversé la décision initiale des plateformes — souvent par défaut, parfois après examen approfondi.

Un outil encore méconnu

Pour l’heure, l’ACE reste encore largement méconnu du grand public : seulement un tiers des utilisateurs européens ayant introduit un recours en ont entendu parler via leur plateforme. Le reste l’a découvert par hasard, par bouche-à-oreille ou via des associations. Les plateformes, elles, ont l’obligation d’informer clairement leurs utilisateurs de cette possibilité, mais peu respectent cette exigence.

À terme, ce mécanisme a pour ambition de devenir un véritable “médiateur européen” des réseaux sociaux, offrant aux citoyens une alternative rapide et gratuite à la justice pour contester des décisions parfois arbitraires.

Xavier Degraux

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