
20 septembre 2025 – Xavier Degraux
Le « deal » annoncé autour de TikTok par Donald Trump n’est pas encore signé. Mais ce que l’on en sait pose déjà question : est‑il conforme à la loi et à l’esprit de la loi bipartisane de 2024 à laquelle il est censé répondre ? Décryptage. En 3 questions clés.
1. Que dit la loi PAFACA (et pourquoi) ?
La Protecting Americans from Foreign Adversary‑Controlled Applications Act (PAFACA) a été adoptée à une large majorité au Congrès américain, Démocrates + Républicains (Chambre basse : 352‑65 ; Sénat : 79‑18), en avril 2024,.
Cette Loi imposait au groupe chinois ByteDance de céder les actifs U.S. de TikTok dans un délai de 270 jours (prolongeable), faute de quoi l’app devait être bannie.
Les motifs étaient clairs. Washington voulait empêcher :
- l’accès ou le transfert de données d’Américain.e.s vers une puissance étrangère « adversaire », en l’occurence via le droit chinois
- la manipulation algorithmique d’un flux à très large portée susceptible d’influencer l’opinion publique et les processus électoraux
En janvier 2025, la Cour suprême des États-Unis a validé la constitutionnalité de la loi, donc le principe « cession ou interdiction ».
Depuis, Donald Trump, qui avait tenté de bannir TikTok en 2020, a été réinvesti Président. Et il a repoussé l’échéance de cette Loi à 4 échéances, la prochaine étant désormais fixée au 16 décembre 2025.
2. Quel est le périmètre de l' »accord cadre » ?
Après des pourparlers à Madrid, dans le cadre d’un round formel de négociations commerciales, les représentants de Washington et de Pékin ont annoncé le 16 septembre 2025 un « framework« (« accord cadre ») au sujet des activités de TikTok aux Etats-Unis. Sans davantage de détails.
D’après la presse, une nouvelle entité américaine (« NewCo ») opérerait TikTok aux États‑Unis. Elle serait détenue à environ 80 % par un consortium d’investisseurs américains. Oracle, Silver Lake et Andreessen Horowitz sont cités, tout comme Susquehanna, KKR et General Atlantic, déjà actionnaires de Bytedance, qui pourraient convertir leurs participations. En revanche, on ignore si l’Etat fédéral américain compte prendre une participation, comme récemment dans Intel.
Quant au groupe chinois, il conserverait près de 20 % de la nouvelle structure, valorisée aux alentours de 40 à 55 Mia USD selon plusieurs analystes.
Le conseil d’administration de cette « NewCo » serait majoritairement américain et inclurait un siège désigné par le gouvernement des États‑Unis.
Les 170 millions d’utilisateurs et d’utilisatrices U.S. de TikTok (soit autant qu’en Europe) seraient invité.e.s .à migrer vers une app dédiée. Ce qui compliquerait, au moins temporairement, la vie des annonceurs (inventaires séparés, signaux différents, ré‑apprentissage de modèles, risque de friction pour les créateurs et pubs transatlantiques…).
Marketing, sales, produit, trust & safety seraient opérés par des équipes U.S. dédiées.
Mais Pékin a insisté : l’algorithme, lui, le coeur nucléaire de cette nouvelle entité si on ose dire, resterait chinois, utilisé sous licence, tout comme d’ « autres droits de propriété intellectuelle », restés non précisés.
Que couvrirait cette « licence » ? D’après Le Financial Times, la version U.S. de TikTok utiliserait au moins une partie de l’algo chinois, entraînée sur des données U.S. et opérée localement.
Plusieurs scénarios sont donc possibles :
- une boîte noire, qui impliquerait une dépendance forte à Bytedance, malgré un probable « droit de fork » (pouvoir dériver et maintenir sa propre branche du code en cas de blocage) ainsi qu’un « escrow du code source » (dépôt sous séquestre, régulièrement mis à jour, remis à l’exploitant si surviennent des sanctions, une rupture de support, une injonction, etc.)
- une boîte grise, avec des niveaux plus ou moins précis de droits de blocage, de traçabilité des mises à jour algorithmiques, d’audits indépendants, de pénalités…
3. Le « deal » respecte‑t‑il l’esprit de la loi ?
Si le « deal » déjà présenté comme une victoire par Trump aboutit (la Chine évoque uniquement des « négociations basées sur les règles du marché »), il est permis de s’interroger sur son respect de la loi PAFACA, à tout le moins sur le respect de son esprit.
Sur papier, il semble cocher quelques cases :
- la participation de ByteDance serait marginalisée, sous la barre des 20%
- la localisation des données serait bel et bien américaine, gardées au chaud chez Oracle, la société dirigée par le trumpiste Larry Ellison
Mais pour tout le reste, c’est beaucoup moins clair…
Concernant le tout puissant algorithme de l’application de vidéos sociales, le Trésor américain parle d’une future app U.S. avec des « caractéristiques chinoises« .
Lesquelles ? On le redit : mystèèèèère.
Cela énerve d’ailleurs un certain nombre d’élus de la « House China Committee », un comité bipartisan spécialisé dans les menaces liées au Parti Communiste Chinois.
Ces membres jugent qu’une licence ne vaut pas séparation, encore moins avec Bytedance toujours à bord. Et ils réclament un découplage réel du moteur de recommandation.
Et concernant la sécurisation des données, l’autre motivation clé de la loi PAFACA ?
Rien de neuf sous le soleil texan, en réalité. Oracle est déjà au cœur du dispositif depuis 2022/2023. TikTok route 100 % du trafic U.S. vers Oracle Cloud Infrastructure et a mis en place USDS (« Project Texas »), un vaste programme d’isolement des données, de contrôle d’accès et d’audits.
Autrement dit, le “deal” consoliderait un dispositif déjà en place. Il ne le créerait pas ex nihilo.
« Win-Win », qu’ils diraient
L’accord éventuel, discuté par téléphone vendredi 19 septembre entre Trump et Xi, serait évidemment présenté de part et d’autre comme un « win-win ».
D’un côté, Trump, qui a parlé d’appel « constructif », devrait affirmer avoir « sauvé TikTok pour les jeunes », voire « en hommage à Charlie Kirk », repris le contrôle des données et de la gouvernance.
Mais le Diable se cache dans les « détails ». Et le Président américain ne parlera pas d’ « opération symbolique », de « communication ». Et encore moins de la façon dont lui, l’actionnaire de Truth Social (concurrent direct de TikTok), entend se servir ensuite de TikTok, directement ou indirectement, commercialement ou politiquement.
De l’autre, Pékin devrait souligner au bic rouge qu’il « exporte » ses technologies de pointe, via une licence sans doute coûteuse (l’algo de Bytedance est souvent évalué à plus de 200 Mia USD). Mais Xi Jinping ne parlera pas de « soft power ». Et encore moins de « chantage » et de « compensations ».
Pourtant, l’entremêlement du dossier TikTok avec la négociation commerciale plus large que mènent actuellement Washington et Pékin (tarifs douaniers, exports, semi‑conducteurs, sanctions technologiques, terres rares, agriculture…) n’a échappé à personne.
Donald Trump et Xi Jinping ont d’ailleurs convenu de se voir pour en reparler, en marge du sommet de l’APEC, en Corée du Sud, fin octobre, début novembre. On saura peut-être à ce moment-là si on peut parler de nouvelles « Trumperies ».