
Sur les principaux réseaux sociaux, les internautes publient moins et regardent davantage, passivement. Les fils, désormais pilotés par la recommandation algorithmique, exposent surtout des contenus d’inconnus, tandis que la sociabilité se déplace vers des messageries (WhatsApp, Messenger, Telegram, Discord…), des groupes, des newsletters, des IA…
Il fut un temps où l’on publiait sans y penser. Un petit-déjeuner au lit préparé par les enfants, un coucher de soleil, un statut « coup de gueule »… Documenter sa vie en ligne était à peu près la norme.
Aujourd’hui, ce réflexe s’émousse. Selon Morning Consult, près d’un tiers des internautes US disent avoir moins posté sur leur réseau préféré au cours des douze derniers mois, un recul accentué chez la génération Z, pourtant la plus connectée de toutes.

L’auteur Kyle Chayka a donné un nom à cette lassitude dans The New Yorker : « posting zero », le moment où l’on cesse de narrer sa vie en public, où l’envie de parler s’efface dans un fil devenu surtout « contenu » (vidéo principalement), que l’on scrolle passivement.
Le temps passé reflue depuis 2022
Les chiffres d’usage racontent la même histoire. Le Financial Times, qui s’appuie sur l’institut GWI, observe un pic du temps passé sur les réseaux sociaux en 2022, puis un reflux d’environ 10% en 2024, pour se stabiliser autour de 2h20 par jour en moyenne (1h30 en Belgique).

Le reflux est plus net chez les jeunes et accompagne la montée d’une consultation nettement plus silencieuse qu’interactive.
Pourquoi nous parlons moins en public
Quatre ressorts s’entremêlent pour expliquer le recul des prises de parole en public sur les réseaux sociaux :
- D’abord, comme je l’ai décrit dans la première tendance de ce dossier, les fils ont changé de nature. Ils privilégient la recommandation et la rétention plutôt que la proximité sociale. On voit surtout des comptes inconnus, choisis pour leur capacité à capter l’attention. Publier ne revient plus à parler à ses proches, mais à se mesurer à un flux ultra-compétitif.
- Ensuite, la fatigue, conséquence d’années d’exposition permanente. Pour Kayle Cheka, les utilisateurs se replient progressivement vers des espaces plus privés, préférant l’échange direct aux vitrines publiques saturées de contenus recommandés. Et cette fatigue se généralise. Y compris ches les créateurs interrogés par Dailymotion (avec e-Enfance et YouGov).

- Plusieurs études mettent par ailleurs en lumière que les internautes, notamment les jeunes, ne se sentent pas toujours en sécurité lorsqu’ils postent sur les réseaux sociaux. Beaucoup éprouvent une peur des critiques, qui participe à une anxiété sociale croissante. Cette anxiété est accentuée par la pression du regard extérieur, la quête de validation via les interactions publiques, et le risque de critiques ou de cyberharcèlement.
- Enfin, l’IA. Les outils de génération de contenus abaissent le seuil technique de production, tout en relevant le niveau perçu d’exigence. Du coup, dans un univers où l’offre explose, beaucoup choisissent de consommer plutôt que de s’exposer. Le « speed watching » illustre cette économie de l’attention accélérée : sur YouTube et ailleurs, les vitesses de lecture ×1,25 à ×2 se banalisent.
Où se parle le « social » en 2025
Mais recul de la conversation ne veut pas dire désertion. D’ailleurs, dans les enquêtes GWI, « garder le contact avec les proches » reste la première motivation (50,2%), devant « remplir des temps morts » (39,7%) et la lecture d’actualités (35,4%).


Changement de lieux
La conversation n’a donc pas disparu. Mais elle change de lieux et de codes, ce qui explique pourquoi nous utilisons désormais, en moyenne, chaque mois, plus de 6 plateformes sociales par personne.

WhatsApp, et dans une moindre mesure Messenger, structurent les échanges du quotidien. Telegram et Discord organisent des communautés en canaux et serveurs, avec des rôles explicites et des règles d’entrée. Viber garde des ancrages régionaux.
En parallèle, Reddit joue la carte des communautés thématiques très actives. Threads tente désespérément d’installer un registre plus conversationnel, notamment avec les groupes. YouTube teste le retour des messages privés, 6 ans après leur disparition.

Même si OpenAi déploie des groupes de discussion dans ChatGPT et que les plateformes de newsletters comme Substack tentent de se positionner face à elles, les messageries privées de Meta dominent toujours le paysage en volume jusqu’ici, avec Facebook, WhatsApp, Instagram et Messenger parmi les cinq plus grands services sociaux ou de messagerie par utilisateurs mensuels actifs.
Ces messageries impriment leurs standards de modération et de monétisation, même si, en Europe en tout cas, elles sont poussées à devenir interopérables.
La bascule de moins en moins silencieuse vers les messageries
Le quotidien se vit donc de plus en plus à huis clos. Et cela se voit dans les derniers relevés.
Sur un mois, 84,5% des internautes de 16 à 64 ans utilisent des apps de messagerie. Et côté fréquence d’ouverture, 85,1% des utilisateurs Android de WhatsApp ouvriraient l’app chaque jour, contre 67,4% pour Facebook et 65,4% pour Instagram.

Les données agrégées par Similarweb indiquent par ailleurs que l’utilisateur Android typique ouvre WhatsApp plus de vingt fois par jour, soit près de 70% de plus que le deuxième, Instagram. TikTok tourne autour de dix ouvertures quotidiennes, YouTube autour de 5,9.

Whatsapp & Cie au centre
Cette centralité des conversations privées n’a pas échappé aux régulateurs, un peu partout dans le monde (Brésil, Inde…)… Y compris en Europe, où Whatsapp fait désormais partie des « très grande plateforme en ligne » au titre du Digital Services Act (DSA), puisqu’il compte plus de 45 millions d’utilisateurs européens.
Elle n’a pas échappé aux médias. On observe un accès croissant à l’actualité via les messageries comme Whatsapp, tandis que l’engagement visible autour de l’actu recule sur les fils publics.
Elle n’a pas échappé non plus aux plateformes elles-mêmes. Quasiment tous les réseaux sociaux en ont profité pour réduire la taille (et la facture) de leurs équipes de modération. Pour augmenter le siphonnage des données pour entraîner leurs IA. Et pour ouvrir de nouveaux canaux publicitaires.
En juin 2025, Meta a d’ailleurs confirmé l’arrivée de formats publicitaires dans l’onglet Updates de WhatsApp, non pas dans les conversations chiffrées, mais dans la partie « Statuts » et les « Canaux ». Au risque de voir Whatsapp ne plus être la plateforme sociale préférée des internautes…

Ce que cela implique pour les pros
L’espace privé est peut-être plus serein. Mais pour les pros, il n’est pas moins exigeant.
D’abord, puisque la valeur se déplace vers des interactions moins visibles (DMs, groupes, canaux de diffusion, newsletters, assistants IA…), l’objectif n’est plus seulement la portée publique, mais la rétention et la transformation dans des environnements fermés.
Sauf que communiquer dans des environnements privés suppose une autre grammaire. Et d’autres indicateurs de performance. Par exemple :
- Membres actifs quotidiens dans un groupe ou serveur
- Rétention à 7 jours des nouveaux membres
- Taux de complétion et watch time côté vidéo
- « Saves », transferts en DM, réponses utiles aux messages épinglés
- Temps médian avant première contribution < 72 h
- Taux d’escalade vers les équipes ventes ou support depuis la messagerie
Ensuite, côté architecture, le choix du lieu compte autant que le contenu.
Pour les annonces descendantes et le suivi ponctuel, on choisit un channel WhatsApp ou un canal Telegram.
Pour la co-construction de savoirs et l’entraide, mieux vaut un serveur Discord, structuré en salons, avec règles claires et « slow mode » pour apaiser les pics de tension.
Et pour la relation client ou des RH de proximité, rien de tel que les groupes WhatsApp ou Messenger, avec message d’accueil, ressources épinglées et rituels hebdomadaires.
Enfin, dernière grande implication pour les professionnels, la gouvernance et la sécurité.
Clarifier la promesse, expliciter les règles, tracer les décisions de modération, prévoir un canal d’alerte confidentiel, maîtriser les exports de données et la vie privée constituent les premières étapes d’une toute nouvelle réalité.
À retenir
- Un tiers des internautes publient moins, surtout chez les plus jeunes
- Le temps passé a reculé d’environ 10% depuis 2022, pour se stabiliser autour de 2 h 20
- Les messageries concentrent l’usage quotidien et gagnent du terrain pour l’actualité
- L’espace privé s’industrialise, entre publicités dans Updates et statut VLOP sous DSA
- Pour les pros, les implications sont majeures (objectifs, architectures, règles…)
Xavier Degraux, Consultant et formateur en marketing digital et réseaux sociaux (LinkedIn en tête), augmenté par l’IA et les data
Découvrez les 7 tendances sur les réseaux sociaux en 2025-2026
- Introduction : Les 7 tendances des réseaux sociaux en 2025-2026
- Les réseaux sociaux ne sont plus vraiment sociaux (1/7)
- Passive scrolling et bascule des conversations en privé (2/7)
- Des fils saturés d’IA et de contenus ultra-transformés (3/7)
- Quand les réseaux sociaux deviennent assistants IA et moteurs de recherche (4/7)
- La vidéo courte règne, mais la longue convertit (5/7)
- Portée organique en chute: place au pay-to-play pour tous ? (6/7)
- Réseaux sociaux: la confiance s’érode encore (7/7)
- Conclusion : Les 7 tendances des réseaux sociaux en 2025-2026 (synthèse exécutive)

