
Les algorithmes ont pris le pas sur les relations humaines. Les publications d’amis ou de proches ne représentent plus qu’une petite fraction de nos fils. Les plateformes, dopées à l’intelligence artificielle, ont basculé dans une logique de médias d’attention. Pour les professionnels de la communication, ce n’est pas nécessairement une catastrophe. Mais c’est un nouvel écosystème à comprendre.
Depuis deux ans, les fils ne reflètent plus principalement nos abonnements à nos proches, à des pages que nous suivons ou à des groupes dont nous sommes membres, mais ce que les modèles prédisent que nous regarderons.

Et la part de contenus issus de comptes non suivis progresse rapidement.
Le géant du secteur, Meta (Facebook, Instagram, Threads, Whatsapp…), a d’ailleurs chiffré le phénomène devant le régulateur américain des médias, la FTC, en avril 2025 : 17% du temps passé sur Facebook concerne des publications d’amis et 7% sur Instagram. Le reste du temps est occupé par des contenus recommandés, des créateurs inconnus, des vidéos poussées par l’algo et, bien sûr, des publicités.


TikTok a imposé la logique du graphe d’intérêt
C’est TikTok, pourtant bien plus tardif sur le marché que Facebook, qui a imposé la norme de l’intérêt d’abord. Son tout puissant algorithme, à l’oeuvre dans l’onglet « For You », classe les vidéos selon la complétion, les pauses, les relectures…
Et la réactivité du système de la filiale de Bytedance est extrême. Des documents récents cités par NPR décrivent une captation ultra rapide de l’utilisateur et des bulles algorithmiques formées en quelques dizaines de minutes à peine.
Ce modèle contamine les autres plateformes. YouTube, Instagram, Facebook, X et même LinkedIn optimisent désormais la rétention au détriment de la proximité sociale.
Économiquement, toutes les grandes plateformes sociales, devenues « video first », optimisent un même KPI implicite : le temps utile monétisable.
Comme le confirmait récemment Sprinklr, elles sont basées sur une expérimentation continue où watch time, complétion et sauvegardes pèsent davantage que les abonnements.

Instagram, Facebook, Threads : priorité à la recommandation
Sur Facebook, la visibilité des liens décroît au profit des vidéos natives et des contenus recommandés. Les rapports de transparence de Meta indiquent une hausse des contenus non suivis dans le fil depuis 2 ans. Facebook est passé d’algorithmes centrés sur le réseau social à des systèmes qui profilent l’attention. De l’EdgeRank à des modèles hybrides utilisant des dizaines de milliers de signaux. Et, aujourd’hui, à l’essor d’IA qui privilégient la probabilité de rétention.

Sur Instagram, la recommandation alimente de plus en plus le feed principal et, bien sûr, les Reels, le format dominant de l’application, cloné de TikTok. Avec, à la clé, un recul de la portée des posts suivis et une montée des contenus de découverte.
Threads, né au sein d’Instagram pour concurrencer X (ex-Twitter) avec une promesse de conversation plus apaisée, pousse la logique centralisée du même modèle : un fil d’intérêts d’abord, des comptes suivis ensuite, avec une emphase sur la découverte.
L’autre « alternative à X », Bluesky, explore une voie alternative : cap vers un protocole ouvert, une identité portable, et une modération composable. L’idée est de redonner une part de contrôle aux utilisateurs et aux communautés sur l’affichage, la découverte et les filtres. Cet angle « souveraineté et contrôle » contraste avec la centralisation de Threads.
De son côté, Reddit progresse avec un modèle d’information et de vérification communautaire.
Quant à Telegram et Discord, ils incarnent la tension entre intimité, viralité et modération.
Mais à dire vrai, toutes les plateformes « alternatives » ou « complémentaires » sont loin de donner le « la ».
Comment l’algorithme classe aujourd’hui
On l’a dit et on le redit : la tendance ultra-dominante aujourd’hui, est aux tests en boucle, à la réorganisation des flux et à l’ajustement de la publicité en temps réel.

Et les principaux signaux sont connus :
- Temps de visionnage et complétion, surtout sur TikTok, YouTube et Instagram Reels
- Engagement qualitatif : watch time, commentaires, partages et sauvegardes priment largement sur les likes
- Pertinence sémantique : mots-clés, légendes, chapitrage…
- Cohérence du comportement : régularité de publication et interactions croisées
Un usage massif, mais moins « social »
Le succès de cette recette globale est massif. Les identités actives sur les réseaux sociaux atteignent à présent 5,66 milliards, soit 68,7% de la population mondiale, selon le rapport Digital 2026 de DataReportal et Meltwater We Are Social.

Le temps moyen reste élevé, autour de 2h23 par jour au niveau global (1h30 en Belgique). Mais il s’est replié d’environ 10% entre 2022 et fin 2024 dans les pays développés, y compris chez les plus jeunes, d’après un rapport de GWI pour le Financial Times.
D’autres chiffres de GWI confirment la recomposition en cours. Les usages « rester en contact », « donner son avis », « rencontrer de nouvelles personnes » ont reculé d’environ 25% entre 2014 et 2024 dans de nombreux marchés.
En parallèle, montent « passer le temps », « s’informer », « rechercher un produit » et… « écrire en privé ». Le feed n’est plus le lieu des liens.

Les derniers relevés confirment l’ampleur et la granularité des comportements.
TikTok capte environ 34h par mois par utilisateur. YouTube suit avec près de 29h. WhatsApp demeure l’application la plus ouverte au quotidien, devant TikTok, Facebook et Instagram. Quatre plateformes dominées par la vidéo…

Et les audiences se chevauchent massivement. Près de 81% des utilisateurs de TikTok utilisent aussi Instagram, pour ne citer qu’un exemple d’usage multiple.

Ce que cela change pour les pros
Nous ne sommes plus dans le « social des abonnés », mais dans un écosystème post-social, où le fil est d’abord un moteur de recommandation.
Pour les pros des réseaux, cela implique au moins quatre mouvements, comme l’a très bien décrit Rachel Karten :
1. Changer de métriques : du volume d’abonnés aux signaux forts
Le nombre d’abonnés ne garantit plus la portée. Les indicateurs clés deviennent :
- Le taux de complétion et temps de visionnage
- La part de vues sur non abonnés vs abonnés
- Les sauvegardes, partages, envois en messages privés
- Les commentaires riches plus que likes
- La conversion du « court » vers l’approfondissement
La priorité est de produire des contenus orientés « découverte », qui déclenchent vite ces signaux forts, puis d’ouvrir vers des formats plus longs qui approfondissent.
2. Redéfinir le rôle du feed, la porte d’entrée
Le fil sert donc la découverte. La relation, l’explication et la conversion, elles, se jouent surtout dans :
- Les messageries et les messages privés (DMs)
- Les groupes et communautés privées
- Les newsletters et les CRM
- Les événements et les espaces affinitaires
Il faut nécessairement passer d’un planning centré « abonnés » à un planning « découverte + relation » :
- Côté découverte : accroches claires, valeur en 30-60 secondes, rebond vers un contenu plus long
- Côté relation : formats réguliers pour nourrir les fans dans des espaces plus intimes
Le feed est juste la porte d’entrée.
3. Choisir une stratégie de feed réaliste
Mais toutes les marques ne jouent pas le même jeu. Trois grandes approches semblent possibles :
- La stratégie « plus de tirs au but » :
- beaucoup de formats courts et de clips
- utile pour médias, marques très productrices de contenus
- logique de volume pour maximiser les chances de jackpot algorithmique
- La stratégie « séries et shows » :
- rendez-vous récurrents, formats reconnaissables
- meilleure rétention, mémorisation plus forte
- adapté aux marques qui peuvent tenir quelques formats phares dans la durée
- La stratégie des « vagues »
- alternance de temps forts et de contenus plus relationnels
- surtout efficace pour les grandes marques déjà connues
4. Investir dans le Social SEO
Dernier mouvement : le Social SEO, qui consiste à être trouvable à l’intérieur même des plateformes, avec :
- Des titres et accroches alignés sur le langage de la cible
- Des légendes structurées, du chapitrage et des sous-titres
- Des mots-clés parlés et écrits cohérents
- Des formats récurrents et du maillage entre contenus courts et longs
À retenir
- Le feed n’est plus un espace social, mais un moteur de recommandation : la part de contenus non suivis dépasse largement celle des abonnés
- Le paradigme « Old social » basé sur les followers a cédé la place au « New social » (ou « Para-social »), où un contenu est soit invisible, soit massivement distribué
- TikTok a imposé la logique de l’intérêt d’abord. Toutes les plateformes optimisent désormais la rétention et les signaux forts (complétion, sauvegardes, partages, commentaires riches…)
- Le succès dépend moins du nombre d’abonnés que de la capacité à déclencher ces signaux dans les premières secondes
- Le feed sert la découverte. La relation et la fidélisation se jouent désormais dans les DMs, les groupes, les communautés et les newsletters
- Trois stratégies de feed émergent : le volume (plus de tirs au but), les séries (formats récurrents) et les vagues (temps forts).
- La découvrabilité passe par le Social SEO : titres, légendes, chapitrages, mots-clés parlés et écrits, formats récurrents, cohérence des interactions.
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Xavier Degraux, Consultant et formateur en marketing digital et réseaux sociaux (LinkedIn en tête), augmenté par l’IA et les data
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